- TRANSPLANTATION D’ORGANES
- TRANSPLANTATION D’ORGANESComme toute thérapeutique nouvelle et aléatoire, les transplantations d’organes ont soulevé des problèmes éthiques difficiles. Le caractère spectaculaire de cette entreprise a fait que les débats se sont généralement déroulés dans une atmosphère passionnée qui n’a pas facilité la confrontation des points de vue. Certains ont même soutenu qu’il était illégitime de procéder à une transplantation d’organe tant que ne serait pas complètement résolu le problème fondamental de la tolérance des greffes. Contre cette attitude de confort moral, de nombreux médecins ont préféré adopter une attitude plus audacieuse en faisant remarquer qu’il était de toute façon impossible d’extrapoler de l’animal à l’homme, qu’il fallait donc aller de l’avant, même si tous les problèmes biologiques n’étaient pas résolus, et qu’on pouvait raisonnablement parier que des essais humains scientifiquement contrôlés risquaient d’apporter une moisson de connaissances aussi profitables aux malades que celles qui résultent des études de biologie fondamentale. Toutes ces hypothèses sont maintenant vérifiées; l’audace s’est révélée payante, et l’on peut même dire que les essais cliniques ont constitué le plus puissant stimulant du formidable essor de recherche que l’on constate depuis plusieurs années dans le domaine des greffes. Malgré des résultats statistiquement de plus en plus favorables, chaque cas individuel continue cependant de poser des problèmes parfois difficiles à résoudre.Les conditions biologiques et médicalesDéfinitionsDans leur sens strict, la transplantation et la greffe diffèrent: la greffe s’applique aux tissus tels que la peau, la cornée; greffer un fragment de peau d’un individu à un autre individu exige seulement qu’on transfère le greffon sur une surface de dimension égale, où l’on aura au préalable enlevé la peau du receveur; nulle suture de veine ou d’artère n’est nécessaire; au contraire, la transplantation d’un organe tel que le rein réclame le rétablissement du courant sanguin, par abouchement de l’artère et de la veine irriguant l’organe à une artère et à une veine du receveur. En pratique, cependant, les mots «greffe» et «transplantation» sont utilisés indifféremment, et l’on parle couramment de greffe du cœur et du rein.On nomme autotransplantation , ou greffe autologue, le transfert d’un transplant prélevé chez le receveur lui-même, par exemple le transfert d’un rein de sa situation normale, dans la région lombaire, vers un emplacement placé plus bas, dans la région iliaque, chez le même individu (cette intervention s’est parfois montrée utile pour sauver un rein dont l’abouchement artériel normal dans l’aorte était menacé d’obstruction). La transplantation autologue ne soulève d’autre problème que chirurgical: le transplant est immunologiquement toléré puisqu’il ne change pas de propriétaire. Il en est de même dans le cas des transplantations entre jumeaux vrais, qui peuvent être considérés de ce point de vue comme deux exemplaires du même individu: on parle alors de greffe isogénique . Il en est encore de même dans les transplantations entre animaux de race pure obtenus par croisements incestueux successifs entre animaux de la même portée, générations après générations: de telles transplantations sont dites syngéniques .On nomme homotransplantation, ou greffe allogénique, ou allogreffe , la transplantation entre deux individus de la même espèce, par exemple de souris à souris ou d’homme à homme (animaux syngénéiques et jumeaux vrais exclus).On nomme enfin hétérotransplantation , ou greffe xénogénique , une transplantation entre animaux d’espèce différente, par exemple de la souris au rat ou du singe à l’homme.HistoriqueJusqu’en 1959, la transplantation d’organes entre jumeaux vrais paraissait, chez l’homme, la seule possible, de même que, chez l’animal, la greffe entre animaux syngénéiques était seule tolérée. Quelques transplantations de rein entre jumeaux vrais furent réalisées, à Boston, par le groupe dirigé par J. Merrill, et leur succès confirma que le transfert du rein ne soulevait en lui-même aucun problème chirurgical sérieux. Mais, en dehors de ce cas particulier des jumeaux vrais, toutes les tentatives de transplantations allogéniques ou xénogéniques de rein avaient abouti à l’échec: le receveur reconnaissait l’organe greffé comme étranger et mettait en branle le processus immunologique de défense, aboutissant au rejet du rein. En 1952, toutefois, la greffe d’un rein d’une mère à son fils, dont le rein unique avait été détruit par accident, fut tentée par le groupe de J. Hamburger à l’hôpital Necker, à Paris, et fut suivie de la première survie relativement prolongée d’une allogreffe (plus de trois semaines); cette observation suggérait le rôle de certains facteurs génétiques et le bénéfice qu’on pourrait tirer d’une sélection du donneur selon certains critères de «compatibilité» tissulaire ou histocompatibilité [cf. HISTOCOMPATIBILITÉ ET SYSTÈME HLA]. Jean Hamburger suggéra, pour cette sélection, de recourir à la comparaison des groupes leucocytaires du donneur et du receveur, groupes que venait de découvrir Jean Dausset et qui devaient recevoir bientôt l’étiquette d’«antigènes HLA» (Human Leukocyte Antigens). L’expérience montra, en effet, que les greffes étaient mieux tolérées si les groupes HLA du donneur et du receveur étaient identiques ou peu différents, ce qui permit d’établir que ces groupes ne caractérisent pas seulement les leucocytes (ou globules blancs sanguins), mais bien les cellules de tous les organes et tissus de l’individu. Ils formaient, en somme, l’homologue des groupes «H2» déjà décrits par l’Américain Snell chez la souris et, eux aussi, caractéristiques de chaque individu souris. Chaque homme est défini par deux «haplotypes HLA» (l’haplotype étant une des deux portions du matériel génétique se correspondant sur chacun des deux chromosomes formant une paire), l’un hérité de la mère, l’autre du père. Chaque haplotype HLA comporte au moins quatre gènes, à savoir l’un des vingt connus dans la série HLA-A, l’un des quarante-deux connus dans la série HLA-B, l’un des huit connus dans la série HLA-C et l’un des douze connus dans la série HLA-D. Inutile de dire que le nombre de combinaisons possibles définissant le typage HLA d’un individu donné est immense. On peut signaler ici que cette possibilité de typage caractéristique de chaque individu a permis bien d’autres progrès que le choix du meilleur donneur de greffon, et notamment la découverte d’une vulnérabilité différente de chacun à diverses maladies, l’étude des mouvements de population, etc.Dans le même temps, d’autres chercheurs expérimentaient divers moyens destinés à affaiblir la réaction immunologique du receveur aboutissant au rejet. L’un de ces moyens, l’irradiation du receveur par les rayons X, devait permettre en 1959 les deux premiers succès d’allogreffe rénale chez l’homme.Cette année-là, en effet, furent réalisées deux transplantations de rein entre faux jumeaux, l’une à Boston sous la direction de J. Merrill, l’autre à Paris sous la direction de J. Hamburger. L’opéré français est en bonne santé, vingt-cinq ans plus tard; l’opéré américain est décédé accidentellement en 1980. Certains se demandaient cependant si le succès de la transplantation entre faux jumeaux pourrait s’étendre au cas général des greffes entre non-jumeaux. La réponse fut donnée par une greffe de rein entre cousins germains réalisée à Paris par la même équipe de l’hôpital Necker, le 12 février 1962, et constituant le premier succès apparemment illimité d’une greffe d’organe entre non-jumeaux: la fonction du rein transplanté demeure excellente.Depuis ce premier succès, plus de deux cent mille transplantations de rein ont été réalisées dans le monde, tandis qu’avaient lieu, selon les principes établis pour les greffes de rein, les premières tentatives de transplantation de cœur, de poumon et de foie, avec quelques succès encourageants (cf. Résultats actuels ).Principes générauxSi les techniques chirurgicales de la transplantation diffèrent bien entendu d’un organe à l’autre, le choix du donneur, la conservation de l’organe entre son prélèvement et sa greffe, enfin le traitement et la surveillance du receveur se font dans tous les cas selon des principes analogues. Ceux-ci ont été mis au point par les premiers techniciens, les transplanteurs de rein.Le choix du donneurL’organe ne peut être prélevé sur un donneur vivant que dans le cas d’organes doubles tels que le rein: l’ablation d’un des deux reins à un sujet sain n’entraîne, en effet, aucune conséquence sur sa santé; l’intervention comporte néanmoins un risque, faible, mais non nul, risque post-opératoire immédiat (0,05 p. 100) et risque d’accident ultérieur sur un rein restant désormais unique (0,07 p. 100), si bien que, même dans le cas du rein, le prélèvement de l’organe sur un cadavre semble préférable au prélèvement sur donneur vivant volontaire, sauf dans certains cas particuliers ci-dessous définis. Pour les autres organes, seul est possible le prélèvement sur un homme décédé d’une affection laissant indemne l’organe considéré et, de plus, ne comportant aucun risque de transmission d’une maladie au receveur.Le donneur doit, en outre, répondre à certaines exigences de compatibilité. Le groupe sanguin du donneur et du receveur doivent s’accorder comme pour une transfusion sanguine. Des tests spéciaux doivent vérifier que le receveur n’a pas été «présensibilisé» (par suite de transfusions antérieures, de grossesses, etc.) aux antigènes du donneur (le terme «antigènes» désignant les structures chimiques qui peuvent susciter des réactions immunologiques). Enfin, on tente de prévoir la compatibilité du donneur et du receveur, c’est-à-dire le degré d’acceptation de la greffe par le receveur, au moyen de diverses techniques.Le principe de ces techniques est fondé sur l’analyse des facteurs responsables de la compatibilité entre les divers individus d’une même espèce, facteurs transmis selon les lois de l’hérédité et dépendant en majorité d’une région spécialisée du matériel chromosomique: cette région est souvent nommée complexe majeur d’histocompatibilité. Ce dernier comprend lui-même une série de gènes, donnant naissance à des antigènes détectables par des sérums spéciaux sur les globules blancs ou les plaquettes du sujet (c’est le système HLA défini plus haut).Sans entrer dans de plus amples détails, on dira simplement que les méthodes actuelles d’analyse de la compatibilité font merveille entre donneurs et receveurs apparentés : c’est ainsi qu’entre frères ou sœurs HLA identiques, c’est-à-dire ayant hérité les mêmes antigènes HLA à la fois de leur père et de leur mère, la greffe du rein connaît près de 100 p. 100 de succès; c’est pourquoi ces donneurs HLA identiques sont d’ordinaire considérés, à l’instar des jumeaux vrais, comme des donneurs acceptables même par ceux qui estiment que dans tous les autres cas il est éthiquement préférable de ne recourir qu’à des reins de cadavre pour éviter de faire courir un risque à un donneur vivant.Les méthodes d’évaluation de l’histocompatibilité entre sujets non apparentés , cas habituel de l’organe prélevé sur un cadavre, sont beaucoup moins sûres dans l’état actuel des techniques. Le degré de confiance qu’on peut leur accorder est l’objet de vives discussions dont il serait trop long de rapporter ici le détail, mais, dans l’ensemble, l’identité des antigènes HLA du donneur et du receveur apparaît favorable.La conservation de l’organeLes organes ne demeurent viables et utilisables pour une greffe qu’un temps limité après le moment où ils cessent d’être irrigués par le sang. Pour le rein, par exemple, la limite acceptable est d’environ 45 mn à 37 0C, elle peut être portée à 24 heures et même à 48 heures si l’organe est conservé à 4 0C avec certaines précautions techniques particulières. La crainte qu’une attente prolongée après la mort ne détériore l’organe à greffer a conduit à considérer que les conditions les meilleures de prélèvement après la mort étaient les suivantes: certains malades ou accidentés ne sont maintenus en vie que grâce à des machines qui entretiennent artificiellement leurs mouvements respiratoires; ce procédé sauve aujourd’hui d’innombrables vies humaines; mais il arrive qu’en dépit de tous les efforts le malade succombe malgré le respirateur artificiel; dans ces conditions si, après la mort, on continue à maintenir artificiellement pendant le temps voulu l’activité respiratoire et circulatoire du corps, l’organe prélevé n’aura pratiquement pas souffert du manque d’oxygène. Des précautions exceptionnelles sont prises, en pareil cas, pour contrôler sans ambiguïté possible la réalité de la mort avant d’entreprendre les manœuvres de prélèvement. Ces précautions font, en France, l’objet d’une codification qui donne au diagnostic de la mort une plus grande rigueur et un degré de certitude plus absolu que ce qu’on peut attendre des méthodes utilisées habituellement dans les autres cas.Le traitement et la surveillance du receveurIl est nécessaire de traiter le receveur d’organe par des médications capables de diminuer l’intensité de ses réactions immunologiques contre l’homotransplant. Les médicaments «immunosuppresseurs » les plus couramment employés sont les suivants. L’azathioprine , spécialisée sous le nom d’ Imuran ou Imurel, est un corps de la série chimique des purines qui déprime électivement l’immunité de greffe. Cependant, les réactions de défense contre d’autres antigènes, en particulier contre les virus, se trouvent également affaiblies, si bien que le médicament peut favoriser certaines complications telles que l’hépatite virale. Or, chez presque tous les receveurs de greffe, l’azathioprine devra être absorbée indéfiniment si l’on veut éviter tout rejet tardif. Malgré ces inconvénients, ce médicament est le plus sûr de tous les moyens actuels de protection de l’organe transplanté.Les dérivés de la cortisone, ou corticostéroïdes , notamment la Prednisone, sont moins des immunosuppresseurs vrais que des agents anti-inflammatoires. Si on les prescrit en cures très prolongées, on s’efforce de n’utiliser que des doses faibles, car ils peuvent entraîner diverses complications telles que des complications osseuses. Cependant, dans le traitement des «crises de rejet», on les emploie à fortes doses et ils sont le plus souvent remarquablement efficaces.D’autres immunosuppresseurs chimiques peuvent être utilisés. Parmi eux, la ciclosporine est un des plus puissants immunosuppresseurs connus en matière de rejet des allogreffes. Elle a sensiblement amélioré la proportion de succès dans les transplantations rénales, hépatiques et cardiaques. Elle n’est malheureusement pas dépourvue de toxicité et peut entraîner des altérations hépatiques et rénales, une hypertension artérielle, des complications neurologiques, de l’hirsutisme, de l’hypertrophie des gencives, un «syndrome de fuite capillaire» avec œdème suraigu du poumon, enfin des lymphomes. Cette dernière affection maligne du système lymphatique est probablement favorisée par tous les immunosuppresseurs, quels qu’ils soient, dans une proportion de 1 à 1,5 p. 100; mais, avec la cyclosporine, on peut les voir apparaître dès la première année du traitement.Le sérum antilymphocyte , préparé par immunisation de chevaux, de chèvres ou de lapins contre des lymphocytes d’hommes, est doué d’un remarquable pouvoir favorisant la survie des greffes expérimentales, mais son emploi dans la transplantation d’organes humains ne s’est montré très efficace que depuis le moment où l’on a disposé d’anticorps monoclonaux , c’est-à-dire purs et homogènes. Avec les sérums antilymphocytes impurs, on est vite arrêté par une immunisation du malade contre les protéines du sérum de l’animal qui a servi à le préparer, et cette immunisation annule aussitôt l’efficacité du produit. Cette immunisation peut être retardée avec les anticorps monoclonaux et, grâce à eux, on parvient à éviter tout rejet en n’utilisant que de l’azathioprine et des doses extrêmement faibles de corticostéroïdes.Aucun de ces produits n’est parfait. Tous ont leurs inconvénients. L’idéal serait de créer une fois pour toutes un état d’acceptation spécifique du greffon par le receveur, sans qu’aucune autre réaction de défense ne se trouve affaiblie. C’est chose possible dans certains modèles expérimentaux, par exemple dans la greffe de rein chez le rat, grâce à des procédés qui dépriment électivement la réaction contre les antigènes du transplant, et seulement contre ceux-là (phénomène de tolérance ). Mais l’application à l’homme de pareilles méthodes se heurte à de très grandes difficultés qui ne permettent pas l’emploi de ces techniques dans la pratique médicale courante.Résultats actuelsEn mai 1993, la statistique mondiale de transplantation d’organes peut se résumer comme suit:– Transplantations de rein. Sur les quelque 290 000 transplantations rénales pratiquées à cette date, la proportion de succès est de l’ordre de 80 p. 100 des cas, à deux ou trois ans. La plus ancienne transplantation réussie se maintient maintenant sans rejet. La réussite des transplantations varie quelque peu selon les équipes. Elle atteint au moins 95 p. 100 de succès lorsque le donneur est un frère ou une sœur jumeaux ou ayant les mêmes antigènes HLA que le receveur. Lorsque les antigènes HLA sont différents chez le donneur et le receveur, la proportion de succès avec un donneur vivant apparenté n’est guère supérieure à celle qui est obtenue avec un rein prélevé sur un cadavre non apparenté, si bien que nombre d’équipes ont abandonné le recours à des donneurs vivants, sauf le cas de sujets HLA identiques.– Transplantations de cœur. 600 transplantations cardiaques environ ont été réalisées aujourd’hui. Dans les meilleures équipes, la proportion de succès est de 80 p. 100 des cas au bout de quatre ans.– Transplantations de foie. Plus de 26 000 transplantations de foie ont été effectuées. Le pourcentage global de survie après deux ans est de 75 p. 100.– Transplantations de poumon. Après plusieurs tentatives qui s’étaient soldées par un échec, la première greffe de deux poumons a eu lieu à Toronto en 1986. Dans le monde, il y en a environ 1 800. Les doubles transplantations cœur-poumons ont une survie de 60 p. 100 à deux ans.– Transplantations de pancréas. Environ 1 400 transplantations de pancréas ont été réalisées, et parfois de rein-pancréas, notamment dans l’espoir de guérir certains diabètes graves. Mais le pourcentage de succès est encore faible.Morale et législationLe receveurLe receveur doit donner son consentement à l’opération, et l’on peut très bien admettre qu’un patient refuse la greffe en toute lucidité, sans qu’on soit en droit pour autant de considérer cette décision comme une forme de suicide. En pratique, un refus définitif du receveur est exceptionnel tant est grande la volonté de survie de l’immense majorité des patients. Par contre, certains malades sont d’abord hésitants, soit qu’ils craignent de faire courir des risques à un membre de leur famille qui s’est proposé comme donneur, soit que l’annonce de la greffe leur fasse prendre conscience pour la première fois de la gravité de leur maladie et les plonge dans une anxiété qui rend toute décision momentanément impossible. Ces malades doivent être éclairés peu à peu sur les bénéfices et les risques de l’entreprise, et il faut leur laisser le temps de mûrir leur décision.Les donneurs vivantsLa greffe de moelle osseuse suppose un prélèvement de moelle chez un ou plusieurs donneurs vivants généralement apparentés. Mais la moelle osseuse est, comme le sang, un «tissu» qui régénère spontanément. Il n’y a donc pas de mutilation du donneur, et le seul risque qu’il court est celui d’une brève anesthésie générale. Il existe donc peu de problèmes éthiques dans ce cas particulier.En ce qui concerne les organes, le seul que l’on puisse prélever chez un donneur vivant est le rein , car l’ablation d’un seul rein ne compromet pas sérieusement l’avenir du sujet, le rein controlatéral augmentant ensuite de volume et fonctionnant aussi bien que deux reins normaux. Mais le risque pour le donneur n’est pas absolument négligeable (cf. supra , Le choix du donneur ). Il reste néanmoins notablement inférieur à celui de beaucoup d’interventions chirurgicales, mais la situation en matière de greffe est particulière, car l’intervention ne profite qu’au receveur. Or l’éthique médicale traditionnelle de même que la loi considèrent qu’une opération n’est acceptable que si elle est faite pour le bien de celui qui la subit . Pour justifier le prélèvement chez un donneur vivant, il faut sortir des normes médicales et invoquer le principe moral selon lequel un individu peut venir au secours d’un de ses semblables en danger, fût-ce au péril de sa propre vie.Il reste à savoir si le médecin peut accepter d’être le complice de ce don si une famille le lui demande. Nous pensons qu’on peut répondre par l’affirmative sous des conditions très précises qui obligent à discuter chaque cas individuel. Les éléments de cette discusion sont au nombre de trois: risques encourus par le donneur, probabilité du succès de la greffe, qualité du volontariat du donneur.– Risques encourus par le donneur . Le risque moyen a été indiqué plus haut. Mais parfois on peut prévoir un risque plus important, du fait de l’âge, d’un état pathologique antérieur ou de conditions anatomiques particulières; il faut récuser de tels donneurs.– Probabilité du succès de la greffe . Les progrès dans la détermination des groupes leucocytaires commencent à permettre dans certains cas des prévisions sur le plan individuel pour les greffes entre sujets apparentés. Ainsi la probabilité de succès est presque de 100 p. 100 dans certaines greffes à l’intérieur d’une même fratrie (donneur HLA identique), mais reste notablement inférieure dans d’autres combinaisons. On a maintenant tendance à récuser les donneurs vivants quand la compatibilité est moyenne ou médiocre. De même, on hésitera beaucoup à accepter un don d’organes venant d’un donneur vivant non apparenté même si des liens affectifs puissants (époux, amis) pouvaient rendre un tel don moralement justifiable.– Volontariat du donneur . Le donneur doit être clairement averti des risques personnels qu’il court et de l’insuccès toujours possible de la greffe. S’il persiste dans sa décision, il faut apprécier la qualité de son volontariat et s’assurer notamment que le donneur n’a pas été soumis à des pressions familiales. Il faut également vérifier, au besoin en prenant l’avis d’un psychiatre, que le donneur est suffisamment équilibré pour être capable d’une décision réfléchie et vraiment libre; le consentement est donné par écrit, en présence d’un témoin. Dans ce même esprit, on refusera comme donneurs les débiles mentaux, les prisonniers et les enfants. Dans les cas douteux, la meilleure façon d’éviter les erreurs est de revoir les familles à plusieurs reprises, d’accorder à tous un temps de réflexion suffisant et d’informer le donneur qu’il peut sans crainte se rétracter à tout moment, car l’équipe de transplantation prendra alors ce refus à son compte en alléguant une raison technique.Le prélèvement sur des cadavresLe prélèvement d’un organe sur un cadavre ne paraît pas poser en lui-même de problème éthique difficile. Le cadavre mérite, certes, le respect de tous, mais prélever sur un cadavre un organe susceptible de sauver un vivant n’est-il pas, comme on l’a soutenu, «une véritable manière d’honorer le corps en reconnaissant toute sa dignité humaine»? Les deux points qui ont soulevé le plus de discussions concernent la définition de la mort et le consentement au prélèvement.L’arrêt de la circulation sanguine et de la respiration sert de base à la définition de la mort dans la plupart des pays. Toutefois, les sujets maintenus en survie artificielle à la suite de traumatismes ou d’accidents cérébraux grâce aux méthodes de réanimation évoluent dans certains cas vers un état de «coma dépassé», état caractérisé par une disparition définitive de toute activité cérébrale, malgré la persistance pendant un certain temps de la circulation sanguine et des battements cardiaques. Bien que ces sujets ne répondent pas aux critères traditionnels de la mort, ils sont en fait des morts en survie artificielle puisque leur cerveau est irrémédiablement détruit. S’il en est bien ainsi, il paraît légitime de déclarer le patient mort et de procéder éventuellement au prélèvement d’un ou de plusieurs organes (reins, foie, cœur, etc.). Ce problème a déjà été longuement débattu et il n’existe pas de réserves explicites des autorités morales et religieuses pour considérer comme réellement mort un sujet en état de coma dépassé. Beaucoup de médecins ont craint cependant qu’on soit tenté d’interrompre prématurément chez certains malades les efforts thérapeutiques et de prélever des organes sur des sujets inconscients et moribonds, mais non en état de mort cérébrale au sens exact de ce terme. En fait, ces craintes sont sans objet si l’on s’astreint à des règles strictes. En France, ces règles ont été codifiées par la loi du 22 novembre 1976, dite «loi Caillavet», et le décret d’application du 31 mars 1978. Le prélèvement d’organe après la mort doit être réalisé dans un délai très court, dans un établissement qui a été spécialement autorisé à cette fin par arrêté, si l’on veut assurer au greffon la reprise d’une fonction correcte. Qui peut autoriser ce prélèvement? Comment concilier le respect du mort et de son entourage familial et la possibilité de sauver une vie par le biais de la transplantation?La loi Caillavet a tenu compte de ces différents impératifs: la famille du futur donneur n’a plus à donner ou à refuser l’autorisation du prélèvement. Seule compte l’opinion de l’individu décédé telle qu’il avait pu la faire connaître de son vivant. La législation impose donc qu’un certain laps de temps soit laissé entre la constatation de la mort et le prélèvement afin que puissent être recueillis, par l’administration, d’éventuels témoignages des personnes qui pourraient être au courant de la volonté du sujet décédé de s’opposer à un prélèvement. Les témoignages seront consignés dans un registre spécial. Néanmoins, en fonction de l’urgence, le prélèvement peut être effectué rapidement après la déclaration de la mort si le registre de l’hôpital ne porte aucune mention s’y opposant. Le seul cas où l’autorisation du représentant légal est indispensable est celui du mineur. Dans certaines situations médico-légales (suicide, accident de travail...), l’accord du procureur de la République est nécessaire. Par ailleurs, pour éviter qu’une équipe médicale soit «juge et partie», le constat de reconnaissance de mort cérébrale doit être effectué par une équipe médicale différente de l’équipe de transplantation. Des dispositions analogues existent dans d’autres pays européens.Toutefois, aussi bien en France que dans la plupart des pays étrangers, beaucoup de médecins n’utilisent pas toutes les libertés réglementaires auxquelles ils ont droit et demandent toujours l’accord de la famille. Cette attitude conduit sans aucun doute à des situations pénibles, car il faut demander une décision urgente et délicate à une famille désemparée. Néanmoins, elle est considérée encore par beaucoup comme une attitude plus franche et plus prudente. À l’inverse, elle limite le nombre de prélèvements qui, on nous l’avait déjà dit, est déjà malheureusement très insuffisant. Dans d’autres pays, notamment en Angleterre et aux États-Unis, l’autorisation de la famille est légalement indispensable, sauf si le sujet a pris de son vivant des dispositions pour autoriser le prélèvement de certains de ses organes après la mort. Cette autorisation est stipulée sur un modèle uniforme de carte que le sujet porte sur lui.
Encyclopédie Universelle. 2012.